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Le 16 novembre 2018, le missionnaire américain John Allen Chau a voulu christianiser l’île de North Sentinel dans l’océan Indien. Avec une superficie de 72 km², l’île est habitée par une des dernières tribus au monde qui est totalement coupée du monde « moderne ».
Les habitants de l’île, les Sentinelles, ont réussi à préserver leur culture du fait qu’ils n’hésitent pas à tuer les intrus avec leurs flèches et leurs lances.
Certains anthropologues ont expliqué pourquoi les Sentinelles ne sont pas colonisables. À l’époque de l’Empire britannique, en 1880, un officier de marine britannique du nom de Maurice Vidal Portman, s’était rendu sur l’île et avait enlevé une famille entière pour l’emmener sur une des îles Andaman en Inde, alors sous occupation britannique. Cependant, les adultes de la famille tombent malades et meurent. Portman décide de renvoyer leurs quatre enfants sur l’île.
Cet événement aurait causé un traumatisme énorme chez la population indigène qui, de par sa très forte mémoire collective, s’est depuis protégée contre tout intrus. Les anthropologues affirment aussi que c’est la raison pour laquelle les habitants de North Sentinel ont pu survivre et maintenir leur culture.
Le passé colonial des Sentinelles explique donc ce qui les a poussé en novembre dernier à s’attaquer à John Allen Chau qui voulait évangéliser les 150 habitants de l’île qu’il considérait comme le « dernier bastion de Satan ».
Le jour où Chau avait mis les pieds sur l’île, chose pourtant interdite par la loi indienne, il a tenté d’offrir des cadeaux aux Sentinelles. Dans son journal intime, il explique qu’il a pris peur lorsqu’un garçon tira une flèche qui transperça sa Bible. Malgré les nombreuses menaces de la population locale, John Allen Chau retourne le lendemain et décide d’y passer la nuit. Le matin suivant, des pêcheurs ont vu les habitants de l’île traîner son corps sur la plage avec une corde.
Après la mort de John Allen Chau, les médias occidentaux se sont mis à vanter le courage de l’évangélisateur américain qui, par amour pour Jésus, se serait sacrifié pour faire parvenir « la vérité du Christ » aux Sentinelles.
Parmi les nombreux messages de condoléances, une voix dissidente s’est élevée en dénonçant la mascarade de l’évangélisation américaine. Caitlin Lowery, elle-même ancienne missionnaire américaine, a appelé les Américains à ne pas victimiser le missionnaire tué. Pour elle, le travail missionnaire est une forme de colonisation et un outil de la suprématie blanche. Son témoignage, que voici, a eu un impact tellement fort qu’il a été publié par la BBC :
« J’ai moi-même été missionnaire. J’entreprenais des voyages missionnaires en Europe de l’Est et en Afrique dans le seul but de “gagner des âmes pour le Christ”. On comptait le nombre de personnes qu’on avait “sauvées”. Avec les indigènes, on organisait des pièces de théâtre et on se portait volontaires pour montrer notre amour pour Jésus. Ensuite, après avoir prié avec eux et les avoir rajoutés sur notre liste dans laquelle on dénombrait les nouveaux convertis, on ne les revoyait plus jamais.
Je croyais que je faisais le travail de Dieu. Mais à vrai dire, je faisais plutôt un travail par lequel je me sentais bien. Je faisais du bénévolat dans un orphelinat ou bien j’aidais à nettoyer une maison. Or, ces deux tâches nécessitaient que les personnes qui y vivaient m’apprennent comment accomplir la tâche. Cela leur prenait de leur temps qu’ils devaient normalement consacrer à leurs familles ou à leur travail. Pourtant, je croyais que j’étais en train de leur rendre service.
Demandez-moi comment ils s’appelaient et je ne pourrai vous répondre. J’ai dû rencontrer et travailler avec des centaines de personnes. Est-ce que je me souviens de qui ils étaient ? Ai-je même essayé de rester en contact avec eux ou leur ai-je montré que je tiens à eux une fois que je les avais rajoutés à ma liste de convertis ? Non, pas une seule fois.
J’ai prié dans leurs lieux de culte en demandant qu’ils se repentent et qu’ils se rendent compte que leur foi était morte. Pourtant, je ne me suis jamais assise avec eux pour les interroger et pour apprendre leurs croyances. Pourquoi ai-je toujours supposé que ma foi était la bonne ? Pourquoi ai-je toujours supposé que ma présence était si importante qu’elle allait changer leurs cœurs et leur vie ? Pourquoi est-ce que j’ai supposé qu’ils étaient perdus, alors qu’ils menaient une belle vie bien remplie là où ils étaient ? Pourquoi ai-je toujours supposé que leurs vies devaient être changées ?
C’est ça la suprématie blanche. C’est ça la colonisation : des Blancs qui entrent dans un pays étranger sous prétexte de vouloir transformer les gens en adeptes du mode de vie et du dieu des Blancs. Ne faites pas comme si la colonisation s’est terminée. Elle existe simplement sous un nouveau nom : les voyages missionnaires.
Ne victimisez pas le missionnaire (John Allen Chau) qui a été tué pour ne pas avoir suivi les lois de la tribu qu’il prétendait aimer. Ne diabolisez pas la tribu qui a simplement essayé de protéger ses enfants de la maladie et de la violence. Si John Allen Chau s’était réellement soucié d’eux, il aurait appris à connaitre leurs croyances et leurs lois et n'aurait pas manqué de respect à leur endroit. Mais il s’en fichait. Les habitants de l’île allaient juste être de nouveaux traits sur sa liste de convertis.
Est-ce bien d’aider les gens ? Oui. Est-ce bien de s’immiscer dans la vie d’autrui sans rien leur demander en prenant uniquement en compte l’hypothèse que vous êtes la personne la plus importante dans la pièce ? Non ! Il est temps que nous réfléchissions à cette notion et que nous changions nos habitudes. La colonisation doit prendre fin ! » [1]Source : Toby Luckhurst, “John Allen Chau: Do missionaries help or harm?”
En quelques lignes, Caitlin Lowery a clarifié le socle commun que partagent l’évangélisme et la colonisation. En effet, la collaboration entre les évangélisateurs et les colons a été dévastatrice dans l’ensemble des pays sous colonisation. Ce fut une des observations formulées au début du XXe siècle par l’historien Mahmoud Shâkir :
Le colonialisme, l’orientalisme et l’évangélisation coopèrent, se soutiennent et se fortifient mutuellement. Les trois entités forment un corps unique, car ce sont des frères germains. Ils ont un père, une mère et une religion en commun. Ils partagent les mêmes objectifs et adoptent les mêmes méthodologies... Ne sépare donc jamais ces trois entités.
Avec la sécularisation des sociétés occidentales, de plus en plus d’historiens admettent aujourd’hui que les missionnaires étaient des impérialistes arrogants et rapaces. Durant la colonisation, le christianisme était devenu non pas une grâce salvatrice, mais une force monolithique, colonisatrice et agressive que les missionnaires imposaient aux indigènes. Les missionnaires étaient des agents importants qui devaient contribuer à l’expansion des forces impérialistes.
Le monde musulman a beaucoup souffert de l’évangélisation occidentale. En Algérie, pour ne citer qu’un exemple, le secrétaire du maréchal Bugeaud, Louis Veuillot écrivait en 1947 : « Les Arabes ne seront à la France que lorsqu’ils seront Français et ils ne seront Français que lorsqu’ils seront chrétiens » [2]Intervention de Messaoud Boukadoum à l’Assemblée nationale française le 20 août 1947, voir Djamel Eddine Derdour, « De l’Étoile nord-africaine à l’indépendance », pages 143-151.
Le racisme et l’évangélisation coloniale existent toujours dans certains médias français. Dans une tentative désespérée d’augmenter ses ventes, le magazine médiocre « L’incorrect » a récemment surfé sur la vague islamophobe. À sa Une, on voit une femme voilée avec une bombe dessinée dans l’œil. À l’intérieur deux articles sautent aux yeux. Le premier est intitulé « Nous devons évangéliser les musulmans » (Abbé Loiseau), le second « Nous pouvons conduire les musulmans à ne pas faire le choix de l’islam » (Jean-Frédéric Poisson).
Depuis l’ère coloniale, le combat pour les cœurs des musulmans n’a cessé de faire ravage. Si on ne veut pas nous laïciser, on cherchera à nous évangéliser…
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