Les angles morts de l’islamophobie française

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“Halima est une secrétaire en université à En savoir plus”

L’affaire Thuram a mis au grand jour le racisme institutionnalisé et latent dont souffre une bonne partie des médias français. Le phénomène ne se limite bien entendu pas à la presse française ni même à l’hexagone. Il est aussi présent aux États-Unis où il est traité dans de nombreuses recherches universitaires.

De manière générale, l’homme blanc bascule dès son enfance dans une certaine forme de racisme sans même s’en rendre compte. C’est une des conclusions du chercheur et consultant américain Michael Welp qui depuis 1996 forme des cadres blancs et leur apprend à soigner leurs préjugés (parfois très subtils) envers les personnes issues des minorités.

Avec son agence « White Men As Full Diversity Partners » (WMFDP), il a établi que la discrimination sur le marché du travail coûte annuellement 64 milliards de dollars aux entreprises américaines ((C’est le coût annuel estimé pour remplacer les plus de 2 millions de travailleurs américains qui quittent leur emploi chaque année pour cause de discrimination et d’injustice.)). D’autres recherches de la WMFDP révèlent des préjugés majeurs qui se forment de manière inconsciente ou irréfléchie. C’est ce que Welp nomme les « blindspots » (angles morts) de l’homme blanc.

Michael Welp a aujourd’hui ouvert les yeux à des milliers de dirigeants et directeurs blancs et les a libérés des restrictions qui leur étaient imposées par la culture masculine blanche. Ses études peuvent aujourd’hui servir de modèle pour lutter contre l’islamophobie dans la société française

L’affaire Thuram a démontré le racisme institutionnalisé des médias français

DÉCOUVRIR SES EAUX CULTURELLES

Lorsqu’il vivait en Afrique du Sud, Michael Welp a réalisé que depuis son enfance il a été bercé par des préjugés qu’il ne peut discerner. Peu après la chute de l’apartheid, Welp trouve dans la figure de Nelson Mandela une source d’inspiration qui va changer sa vie. Selon lui, l’homme blanc en Afrique du Sud n’était pas forcément mauvais, bien qu’il fasse partie d’un système oppressif. De mauvaises personnes étaient au pouvoir et d’autres se conformaient à leur système.

De retour aux USA, Welp entame des recherches sur la diversité et le racisme latent chez l’homme blanc. Après 7 ans d’études approfondies, il conclut que la conception de la diversité a toujours été véhiculée de manière à ne jamais se focaliser sur l’homme blanc. Les études raciales portent généralement sur les personnes de couleur de la même manière que les études de genre se concentrent majoritairement sur les femmes. Le cas de figure qui n’est jamais examiné est celui de l’homme blanc qui d’ailleurs ne perçoit pas qu’il a une culture qui lui est spécifique (et donc non universelle). Welp estime que l’angle mort le plus répandu chez l’homme blanc est qu’il est inconsciemment influencé par une culture qui pour lui est invisible :

« Nous ignorons que nous avons une propre culture, nous sommes comme des poissons dans l’eau. Nous devons rarement quitter nos eaux culturelles et nous n’en avons donc presque pas conscience. Notre culture imprègne nos écoles, nos institutions, nos églises, nos entreprises et la plupart des endroits où nous nous rendons… Nous ignorons que nous faisons partie d’un groupe. Quand un homme blanc se regarde dans le miroir, il ne voit qu’une personne normale et non pas une personne blanche. Les non-Blancs quant à eux verront en lui un homme blanc. Cet effet est dû à la manière dont la diversité culturelle est encadrée. Lorsqu’on étudie la race, on se concentre souvent sur les gens de couleur. On n’est jamais interrogé quant au fait d’être blanc. » ((Michael Welp, « White Men: Time to Discover Your Cultural Blind Spots »))

- Michael Welp -

Cela explique pourquoi l’homme blanc — qu’il soit Américain ou Français — estime qu’il ne fait pas partie de la diversité. De même, il n’arrive souvent pas à comprendre comment les différentes dimensions au sein de la diversité peuvent engendrer une expérience différente chez les gens. En effet, ce qui est conçu comme totalement normal par la majorité ne l’est souvent pas pour les minorités.

Il n’y a pas de problème à aimer sa culture, explique Welp, mais lorsqu’on abuse de cette culture, les qualités peuvent se transformer en défauts :

Michael Welp a aujourd’hui ouvert les yeux à des milliers de dirigeants et directeurs blancs et les a libérés des restrictions qui leur étaient imposées par la culture masculine blanche.

« Quand je vis dans cette boîte culturelle qui m’est invisible, je ne la considère pas comme étant une culture. Je me considère simplement comme un bon être humain ou un bon Américain. Je juge les autres en fonction de cette boîte culturelle invisible ce qui les place dans un endroit où ils se sentent jugés. Pour moi, il s’agit de préjugés qui se construisent de manière inconsciente… Je pourrais dire que je ne vois pas de différences entre les cultures et que je traite tout le monde de la même façon, mais je ne me rends pas compte que les autres entendent cela comme une demande de s’adapter à ma boîte culturelle. Je ne me rends même pas compte que je provoque une forme d’assimilation chez les autres. D’autres peuvent être frustrés parce qu’ils savent qu’ils doivent laisser une partie d’eux-mêmes à la porte… C’est ainsi que nous laissons derrière nous une partie de notre humanité. » ((Ibid))

- Michael Welp  -

Welp a parfaitement saisi le caractère répressif et discriminatoire de la politique d’acculturation que les pays occidentaux, depuis l’ère coloniale, appliquent sur leurs minorités.

LA « NEUTRALITÉ » DU PRINCIPE DE NEUTRALITÉ

L’islamophobie étant un racisme culturel, les thèses de Welp liées aux « angles morts » de l’homme blanc sont parfaitement applicables au contexte français. En France aussi, les discriminations antimusulmanes ont lieu sous différentes formes et sont justifiées par des termes parfois très subtils.

Pour combattre la visibilité musulmane dans les écoles, les élites françaises ne cessent d’invoquer le principe de la neutralité.

Pour combattre la visibilité musulmane dans les écoles et les instances gouvernementales, les élites françaises ne cessent d’invoquer le principe de la neutralité. L’exigence de « neutralité aux membres de la société civile » fut un argument clé dans le vote de la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques (il fallait préserver la « neutralité de l’espace scolaire ») ainsi que dans la loi de 2010 interdisant le niqab  (on évoquait la « neutralité dans l'espace public »).

En novembre 1989 déjà, une poignée de « penseurs » racistes avaient déclaré que l’appartenance religieuse d’un enfant musulman l’empêchait de réfléchir par lui-même. Le port du voile était conçu comme allant à l’encontre de leur conception de la « neutralité » :

”Il faut que les élèves aient le plaisir d’oublier leur communauté d’origine et de penser à autre chose que ce qu’ils sont pour pouvoir penser par eux-mêmes. Si l’on veut que les professeurs puissent les y aider, et l’école rester ce qu’elle est — un lieu d’émancipation —, les appartenances ne doivent pas faire la loi à l’école. ((Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay, Catherine Kintzler… dans « Le Nouvel Observateur », novembre 1989))

- Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut... -

Pourquoi oublier sa communauté d’origine serait-il forcément un plaisir ? Parce qu’elle est inférieure à la communauté des Blancs ? Pourquoi les filles en foulard ont-elles besoin de penser à autre chose que ce qu’elles sont pour pouvoir penser par elles-mêmes ? Et pourquoi ne serait-ce pas le cas pour les enfants laïcs ? Ces derniers seraient donc, de par leur athéisme ou chrétienté, capables de penser par eux-mêmes. Fort heureusement il y a les professeurs « civilisateurs » qui les aident à s’émanciper dans « un espace neutre » où leur appartenance est considérée comme anormale, sauvage et totalement insensée.

Les adeptes du racisme antimusulman ne comprennent pas que la neutralité qu’ils invoquent n’est pas neutre et qu’elle incarne également une culture et une croyance spécifique. Ils ne s’en rendent pas compte du fait qu’ils n’ont jamais quitté leurs eaux culturelles. En obligeant les autres à adopter, sous couvert d’une prétendue neutralité, une nouvelle identité ou une autre apparence, ils discriminent les minorités non laïcisées. Ils les jugent et dénigrent leurs origines, leur histoire ainsi que les valeurs que leurs parents ont voulu leur inculquer.

L’islamophobe français tente de limiter l’extériorisation de toute appartenance religieuse ou culturelle, mais ne se rend pas compte qu’il extériorise constamment sa propre appartenance idéologique et culturelle. C’est justement en présentant sa propre appartenance comme « neutre » qu’il s’octroie le droit de l’imposer aux autres.

SOIGNER SON ISLAMOPHOBIE

Le principe de neutralité est souvent exploité par des politiques islamophobes comme Christian Estrosi qui a voulu empêcher les mères voilées de participer aux activités périscolaires (elles devaient se plier au « principe de neutralité »).

En décembre 2007, un collectif de plusieurs groupuscules controversés (Licra, Ni putes ni soumises, SOS Racisme, Grand Orient de France…) se sont exprimés dans une tribune de Libération pour justifier leur racisme culturel tout en se référant au principe de neutralité :

« Cautionner la présence d’accompagnateurs se discriminant eux-mêmes par le port de signes distinctifs indiquant un choix politique et/ou religieux, c’est oublier la valeur d’exemplarité de l’adulte aux yeux de l’élève. Depuis plus d’un siècle, la République et son école exigent des enseignants et des personnels éducatifs un devoir de réserve et une stricte neutralité, de façon à protéger les enfants de toute propagande et préserver une liberté de conscience naissante. »

- Ni putes ni soumises, SOS Racisme, Grand Orient de France… -

Comment peut-on offrir à une fille musulmane une liberté de conscience si on considère le port du voile de sa mère comme autodiscriminatoire et un élément de propagande qui va à l’encontre de la valeur d’exemplarité de l’adulte ? N’est-ce pas là en soi un discours propagandiste ?

En contraignant des familles musulmanes à entrer dans une boîte culturelle très restreinte, on les incite à adopter un mode de vie qui n’est pas forcément le leur. Une fois qu’on oblige des enfants à se renier culturellement et religieusement, il n’est plus question de liberté de conscience, de culture ou de religion. Paradoxalement, on souhaite toujours donner plus de libertés aux musulmans en les privant de toujours plus de droits.

En France, la personne laïque considère que ses valeurs sont universelles, ce qui provoque en elle un excès de certitude. Elle est alors poussée à penser de manière obsessionnelle et très superficielle : tout est blanc ou noir, bien ou mauvais. Le Français de souche, tout comme l’homme blanc aux USA, finit par simplifier excessivement le monde du fait qu’il ne peut accepter que des points de vue, contradictoires en apparence, peuvent contenir une partie de vérité. De même, ils sont incapables de reconnaitre que d’autres cultures peuvent être enrichissantes.

Alors, que doit faire le raciste américain ou l’islamophobe français pour se soigner ? Selon Welp, il doit d’abord comprendre qu’il possède une culture spécifique qui n’est pas forcément évidente pour les autres. S’il commence à la percevoir, il comprendra le tort qu’il cause lorsqu’il souhaite l’imposer aux autres...


Lire la 2e partie : 

"Le privilège blanc, deuxième angle mort de l’islamophobie française"


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Chercheur à l'Observatoire des Islamologues de France

1 réponse A "Les angles morts de l’islamophobie française"

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